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Interview de Cyril Coppini, acteur de rakugo et traducteur de manga

C’était le 14 mars 2019 que le magasin de Rennes (Joffre) accueillait Cyril Coppini à l’occasion de sa représentation de rakugo en France (Rennes et St Malo).

Ce rakugo perfomer, traducteur, interprète, a accepté de répondre à quelques questions lors de sa séance de dédicace.

Cyril Coppini répond à Japanim et nous parle de sa vie et sa carrière.

Japanim : Cyril Coppini, bonjour et merci d’être avec nous. Vous êtes rakugoka, acteur de rakugo (un art scénique humoristique typiquement japonais) mais aussi traducteur pour plusieurs éditeurs manga en France, notamment Kana et Isan Manga. Pour commencer cet entretien, depuis quand exercez-vous comme rakugoka ?

Cyril Coppini : Pour commencer par le début, je ne me considère pas comme rakugoka mais comme rakugo performer. C’est très délicat comme question, mais je vais aller à l’essentiel. Un rakugoka est une personne qui a suivi une formation auprès d’un maître, une longue formation très cadrée. Moi, j’ai sauté cette étape de formation, pour des raisons de caractère : je ne me voyais pas plier les kimonos d’un maître et lui servir du thé pendant trois ans. Mais j’ai eu la chance de rencontrer des maîtres du rakugo qui m’ont enseigné des histoires. Alors je fais très attention à cette terminologie, je tiens à respecter ceux qui ont consacré dix ans de leur vie à cette phase d’apprentissage, c’est pourquoi je préfère me présenter comme rakugo performer. Pour en revenir à la question, j’y suis venu depuis longtemps, j’apprends la langue japonaise depuis trente ans, j’ai commencé à l’âge de quinze ans. J’ai suivi des études universitaires à Paris, à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales, et c’est là que j’ai découvert le rakugo pour la première fois. À cette époque, il n’y avait pas internet, très peu de documentation en France sur le sujet, alors c’est seulement quand je suis allé au Japon que j’ai vu du rakugo, d’abord à la télévision puis sur scène. Donc, si vous voulez, entre le moment où j’ai découvert le mot rakugo et celui où j’ai vraiment vu et compris ce que c’était, il s’était passé une dizaine d’années ! C’est à ce moment que j’ai su que je voulais en faire, mais la formation me rebutait. Et ça s’est déclenché en 2009, en rencontrant un maître d’Osaka, une sorte de marseillais à la japonaise. Il m’a dit : « Tu sais, cette histoire de formation, c’est très propre à Tokyo, à Osaka c’est moins contraignant ». Je l’ai pris au mot ! Pendant une année, je suis allé à Osaka une fois par mois, il m’a appris les ficelles, et depuis 2011 je monte sur scène. Donc c’est assez récent finalement, ça fait huit ans.

J. : C’est déjà pas mal ! Pour ceux qui ne connaissent pas, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qui fait l’essence, la spécificité du rakugo ?

C.P. : Alors littéralement, raku signifie « la chute » et go « la parole, le mot » : c’est le même kanji que dans nihongo (« la langue japonaise »). Le rakugo, c’est du conte, mais pas seulement : c’est du conte théâtralisé. Il y a un peu de narration, mais surtout des personnages, qui évoluent et qui sont tous interprétés par le conteur. On peut tout devenir : un samouraï, une femme, un enfant, un vieillard, un animal… il y a beaucoup d’animaux d’ailleurs, qui s’amusent avec les hommes. Il y a aussi un petit côté moralisateur, comme dans les contes occidentaux, mais avec une chute souvent comique. Bon, il n’y a pas que du répertoire comique dans le rakugo, mais ça en représente une grosse partie. Et puis, la grosse particularité du rakugo, c’est qu’on reste agenouillé sur un coussin, à la japonaise, et on doit donc exprimer tout ça en n’utilisant que le haut du corps. Il n’y a presque aucun élément scénique, juste un éventail et un carré de tissus. C’est une culture de l’oralité extrêmement forte, qu’on a peut-être un peu oubliée dans nos cultures occidentales mais qu’on retrouve dans des endroits comme l’Afrique ou la Nouvelle Calédonie. Et plus on vieilli, plus on est apprécié comme conteur de rakugo, parce qu’on apporte sa propre expérience de vie, et c’est important. Il y a aussi un facteur de réputation, une notoriété qui se rapproche de celle de l’acteur. Et chaque conteur a sa façon de raconter une histoire que tout le monde connaît, mais avec des détails qui lui sont propres. C’est de l’acting.

J. : Est-ce qu’il y a des courants, des grandes écoles de rakugo ?

C.P. : Les deux grandes écoles, pour simplifier, c’est Tokyo et Osaka. Ça s’explique historiquement, parce que le rakugo tel qu’on le connaît est né simultanément à Osaka, Kyoto et Tokyo. Il y a eu un conteur, dans chacune de ces villes, reconnu comme le premier rakugoka de l’époque, donc les villes se faisaient un peu la guerre au sujet de la paternité du genre. Avec le temps, Osaka et Kyoto sont devenues une seule unité, qu’on appelle le Kamigata Rakugo, face au Edo Rakugo, de l’ancien nom de Tokyo. Les histoires vont et viennent aussi. Certaines sont nées à Osaka, puis sont montées à Tokyo avec les conteurs, là elles ont été retravaillées avec une chute légèrement différente, ou des noms et des titres différents. Et inversement, bien sûr. Donc ça reste une rivalité bon enfant, d’autant que les deux courants conservent des points communs forts : l’influence bouddhiste, la posture à genoux, le kimono, l’éventail, etc.

J. : Pour revenir un peu plus en détail sur votre parcours, comment vous est venu le goût de cet art ?

C.P. : J’étais étudiant en littérature japonaise moderne, et l’auteur que j’étudiais était très influencé par le rakugo, il en parlait beaucoup dans ses essais et ses écrits. Au début, j’ai donc eu une approche un petit peu universitaire, et il y a de très bonnes études universitaires sur le sujet, mais avec le temps j’ai eu envie d’une approche plus ludique, c’est pourquoi j’ai voulu m’y coller moi-même. Et puis pour moi, c’est devenu une façon de continuer à apprendre le japonais, parce qu’il s’agit toujours de trouver le juste mot, d’entretenir le rythme. Ça fait vingt-deux ans que j’habite au Japon maintenant, que je travaille avec le japonais et le français tous les jours, je cherchais un moyen d’approfondir les choses mais je ne me sentais pas de reprendre des études littéraires et de m’enfermer seul dans une bibliothèque. Le rakugo s’est révélé un bon exercice d’apprentissage continu.

J. : Dans ce cas, est-ce que d’autres arts scéniques japonais, comme le kabuki ou le , vous ont aussi attiré ?

C.P. : Très peu ! Le , ça m’endort. (Rire) Il y a beaucoup de passerelles entre le kabuki et le rakugo, il y a des histoires développées dans le kabuki qui viennent du rakugo, avec une mise en scène plus extravagante, plus colorée. J’aime bien regarder, mais ça ne m’a pas donné envie de m’y mettre. Et puis dans le milieu du kabuki, on est sur des relations beaucoup plus filiales, sanguines : on est acteur de kabuki de père en fils. C’est un phénomène qui ne se retrouve pas spécialement dans le rakugo : on devient disciple d’un maître parce qu’on aime son travail. Et c’est un art plus populaire, là où le kabuki et le sont plus élitistes… ce qui explique qu’ils aient été plus vite connus en France, peut-être.

J. : Pour rappel, vous êtes à la fois acteur, traducteur et interprète. Comment arrivez-vous à concilier ces activités ? Est-ce qu’elles s’influencent ?

C.P. : Alors pour concilier, déjà, j’ai arrêté de dormir il y a huit ans. (Rire) Ça influence certainement. Comme je le disais, le rakugo est aussi une façon d’apprendre de nouveaux mots en japonais, d’avoir un meilleur rythme de lecture et d’expression. Il faut savoir que maintenant, on est généralement traducteur-adaptateur : mieux on cerne les enjeux du texte en japonais, mieux on le transcrit en français. Ça fait beaucoup d’activités qui paraissent différentes, mais tout tourne autour de l’amour de la langue japonaise. J’aime bien varier les journées.

J. : En tant que Français, en tant qu’Occidental, comment vous positionnez-vous dans l’interprétation de cette forme de spectacle encore très méconnue du public ? Est-ce que vous essayez de retranscrire le plus fidèlement une tradition japonaise ou d’apporter une french touch un peu plus personnelle ?

C.P. : Il y a deux cas de figure : je fais du rakugo au Japon en japonais et je fais du rakugo en dehors du Japon, essentiellement en français, parfois en anglais. Au Japon, la plupart des gens le prennent bien et rigolent beaucoup. Bien sûr, il y a toujours quelques puristes insulaires qui disent que pour faire du rakugo il faut être japonais… Je mets beaucoup de french touch dans mes spectacles au Japon parce que c’est ce que les gens attendent : je n’ai aucun intérêt à faire du rakugo comme le ferait un Japonais, parce que je n’aurai jamais son niveau en langue. J’ai la chance de venir d’un pays que les Japonais aiment beaucoup, mais dont ils ont beaucoup d’idées préconçues. J’aime bien casser ces stéréotypes. En tant que provincial, je casse beaucoup de sucre sur le dos de Paris, ça les étonne beaucoup ! Je pars sur une base d’histoires issues du répertoire classique du rakugo, dans lesquelles je glisse des références françaises, des contre-pieds. En France, je parle des Japonais, de leurs manies, des stéréotypes qu’on imagine. Il y a toujours une adaptation en fonction du public. C’est très important dans le rakugo, d’ailleurs, d’utiliser la culture locale du lieu dans lequel on joue ! Au Japon, je joue beaucoup en province, et je me renseigne toujours sur la spécialité locale. Glisser un jeu de mot, une référence au lieu où l’on est, ça met tout de suite les gens en confiance. Ce soir et demain, pour Rennes et Saint-Malo, j’ai une histoire de fantôme nommé Okiku, ça ressemble à Ankou, il y a moyen de faire quelque chose… (Sourire énigmatique) Même en japonais, je peux avoir des gags sur Tokyo qui ne marchent pas du tout à Fukuoka. Chaque spectacle est différent, unique. Et il y a toujours une introduction, où on parle de la pluie et du beau temps en quelque sorte, pour prendre la température de la salle.

J. : Vous êtes un véritable pionnier en matière de rakugo en France. Aujourd’hui, est-ce qu’il existe des structures pour se former en France, en Europe, ou faut-il obligatoirement passer par le Japon ?

C.P. : Moi, je le redis, je n’ai pas suivi la formation traditionnelle, mais je travaille avec deux maîtres : un à Osaka, un à Tokyo, comme ça j’ai les deux sons de cloche et en même temps je suis une sorte d’électron libre, tout en gardant beaucoup de respect et de modestie par rapport à ceux qui ont suivi le parcours classique. Au Japon, il m’arrive de faire des conférences autour du rakugo vu par un Français, essentiellement dans des centres culturels de la NHK (le groupe audiovisuel public japonais), dans des universités japonaises parfois aussi. Au Japon, je ne me verrais pas me proclamer maître et monter une école. En France, c’est plus envisageable : non, pas une école, mais pourquoi pas proposer des stages à des gens qui apprennent le théâtre, pour explorer d’autres formes scéniques. Plutôt de l’initiation, de la découverte. En juin, je vais à Belfort pendant cinq jours, pour faire des spectacles et des interventions en milieu scolaire autour du thème de l’oralité. La semaine prochaine, je vais animer un atelier rakugo dans une école de théâtre à Genève. Ce genre d’interventions, c’est bien, on commence juste à semer des graines pour l’avenir. Je ne suis pas tout seul, heureusement, il y a un autre Français qui fait ça : Stéphane Fernandez, basé à Paris, qui est conteur de formation. Il connaît des contes brésiliens, africains, français évidemment et, avec cette expérience de conteur, il a découvert le Kamigata Rakugo. On s’est rencontrés au Japon. Il apprend encore le japonais, donc la scène au Japon ce n’est pas pour tout de suite, mais il fait un très beau travail en français, sur des adaptations de textes par sa femme, qui est aussi son metteur en scène. En fait, on travaille tous les trois : je leur envoie des traductions, brut de décoffrage, d’histoires japonaises, et eux font l’adaptation pour le public français, que je connais un peu moins bien que le public japonais, finalement, vu que je n’habite plus en France depuis longtemps.

J. : Stéphane Fernandez et vous êtes donc les deux seuls rakugo performers professionnels français actuellement. Est-ce qu’il y a des Japonais qui se produisent en France ?

C.P. : Il y en a, mais peu, surtout à cause de la barrière de la langue. Le maître d’Osaka avec qui je travaille joue en japonais, avec des sur-titres que je prépare. C’est calibré pour être facile à suivre. Celui de Tokyo, lui, ne parle pas d’autre langue que le japonais mais il apprend à l’oreille ses spectacles dans huit autres langues, dont le français. C’est devenu sa spécificité : faire du rakugo à l’international, toujours dans la langue du pays dans lequel il se trouve. Parce qu’il est contre le sur-titrage, il veut que les gens se concentrent sur la scène. Il faut dire que le Edo Rakugo est un jeu tout en finesse, très détaillé, alors si on s’attardait sur le sur-titrage on pourrait perdre une partie du langage corporel. Encore une fois, deux approches différentes.

J. : Une dernière question avant de vous libérer. Quels sont vos buts pour l’avenir ?

C.P. : Au niveau de la traduction de manga, c’est encore récent pour moi, j’en fait depuis maintenant cinq ans. J’ai la chance de travailler sur une série, Détective Conan, qui n’est pas partie pour se terminer avant un moment. Et il y a un spin-off qui sort au mois d’avril [Apprenti criminel, chez Kana, le 5 avril], sur l’ombre qu’on aperçoit souvent dans Détective Conan. Il y en a d’autres de ce genre au Japon, nous verrons si Kana les sortira aussi, en tout cas je suis ouvert à toute nouvelle proposition. Et la prochaine étape, c’est le jeu vidéo, j’ai commencé il y a deux ans. Je crois que les studios japonais commencent à se rendre compte qu’il est nécessaire de localiser leurs titres en français, directement depuis le japonais, plutôt qu’en passant par l’anglais comme ça se faisait beaucoup. En traduction, cette étape intermédiaire par l’anglais, ce n’est jamais bon pour le résultat final. Du coup, je travaille au sein d’une équipe de traducteurs sur des projets comme Danganronpa V3, qui est déjà sorti, et Legend of Heroes : Trails of Cold Steel III, annoncé pour cet automne en Europe. Concernant le rakugo, j’espère continuer à développer ces interventions au sein des programmes éducatifs que nous évoquions. Je pense que faire connaître les choses, ça passe par l’éducation, et si on peut former une nouvelle génération de public, ce serait une bonne chose.

J. : C’était un plaisir de vous recevoir, Cyril Coppini, merci pour vos réponses et bon courage pour votre performance dans quelques heures.

C.P. : Merci à vous. Arigato gozaimasu.

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